Si vous prenez régulièrement le bus à Poitiers, vous avez sûrement croisé les contrôleurs et contrôleuses de Vitalis. Leur présence, particulièrement visible ces dernières années, soulève des questions : pourquoi ces contrôles sont-ils devenus si fréquents ? Sont-ils réellement utiles ? Et surtout, pourquoi continuer à investir dans une politique aussi coûteuse alors que de nombreuses villes font le choix de la gratuité des transports publics ?
Les transports en commun sont un levier essentiel pour réduire l’usage de la voiture, lutter contre le réchauffement climatique et garantir une mobilité accessible à toutes et tous. Pourtant, à Poitiers, les contrôles se multiplient, générant des coûts et des tensions sans résultats probants sur la fraude. Cette situation reflète une vision dépassée des transports publics, axée sur la répression plutôt que sur le service. Dans cet article, nous analysons les chiffres de la Régie des Transports Poitevins et de Vitalis pour démontrer l’inefficacité de cette politique et proposer des alternatives plus cohérentes avec les ambitions d’une ville progressiste.
Les contrôles à Poitiers : une politique inefficace et coûteuse
En 2023, Grand Poitiers et Vitalis ont intensifié leur lutte contre la fraude, lançant une grande campagne d’affichage accompagnée d’une augmentation significative des contrôles. Selon le rapport de la Régie des Transports Poitevins et de Vitalis, l’objectif officiel est que 1 % des voyageurs et voyageuses soient contrôlées. Pourtant, le taux réel a explosé pour atteindre 1,6 %, bien au-delà de la cible fixée. En comparaison, ce taux était de seulement 0,64 % en 2022 et de 0,23 % en 2021. En trois ans, les contrôles ont été multipliés par sept.
Cette hausse s’explique par l’augmentation des effectifs dédiés à la lutte contre la fraude, passés de 4 à 7 agents entre 2021 et 2023. Avec 208 623 contrôles réalisés en 2023, la politique anti-fraude a pris une ampleur démesurée, sans pour autant prouver son efficacité.
Des chiffres révélateurs :
En 2022 : 83 420 contrôles pour 12 millions de voyages ont conduit à 1 030 procès-verbaux (PV), soit 12 PV pour 1 000 contrôles.
En 2023 : 208 623 contrôles pour 13 millions de voyages ont donné lieu à 3 161 PV, soit 15 PV pour 1 000 contrôles.
Malgré cette augmentation, les revenus générés par les amendes sont dérisoires. Seules 906 amendes ont été payées en 2023, rapportant entre 41 000 € et 163 000 €. À comparer avec un coût estimé de 200 000 € à 300 000 € pour maintenir l’équipe de contrôle. Ainsi, les contrôles coûtent plus qu’ils ne rapportent, tout en aggravant les tensions dans les bus. Entre 2022 et 2023, les agressions contre les contrôleurs sont passées de 2 à 10, représentant 70 % des agressions totales signalées sur le réseau.
Les conséquences de cette politique ne se limitent pas aux finances. Comme le souligne l’étude de Transdev, les contrôles excessifs peuvent exacerber les tensions sociales et accentuer le sentiment d’insécurité des usagers, en particulier ceux des classes populaires. Une telle dynamique ne peut qu’éroder la confiance envers le service public, allant à l’encontre des objectifs d’inclusion et de fidélisation des usagers.
De plus, les données disponibles sur les réseaux de transport montrent qu’il n’existe aucune corrélation évidente entre le taux de contrôle et le taux de fraude. Par exemple, des villes avec un taux de contrôle similaire de 2 % peuvent afficher des taux de fraude très variables, allant de 1,8 % à plus de 30 %. Ce constat, mis en évidence par une étude de Transdev, souligne que multiplier les contrôles n’entraîne pas nécessairement une diminution de la fraude.
Dans le cas de Poitiers, l’augmentation significative du taux de contrôle depuis 2021 n’a pas permis de réduire drastiquement le nombre de fraudeurs. Cette inefficacité relative met en lumière les limites d’une politique répressive centrée sur les contrôles, sans qu’elle s’accompagne d’une réflexion globale sur les causes structurelles de la fraude, comme la tarification ou l’accessibilité.
Ces données renforcent l’idée que les moyens consacrés aux contrôles pourraient être mieux utilisés.
La gratuité : une solution sociale et écologique
Face à ces constats, la question de la gratuité des transports à Poitiers s’impose. De nombreuses villes, comme Dunkerque ou Seattle, ont déjà adopté cette mesure avec succès, démontrant ses bénéfices sur plusieurs plans.
Sur le plan de la justice sociale premièrement. Selon Huré (2012), la gratuité favorise l’accès aux services urbains pour les populations les plus précaires. Elle permet aussi de limiter les discriminations induites par les contrôles, qui ciblent souvent les usagers vulnérables. À Poitiers, où les classes populaires dépendent fortement des transports publics, la gratuité serait un outil puissant pour réduire les inégalités.
Sur le plan de l’attractivité urbaine deuxièmement. Les villes ayant instauré la gratuité constatent une augmentation significative de la fréquentation des transports, renforçant l’activité économique locale. À Dunkerque, par exemple, la gratuité a entraîné une hausse de 65 % de la fréquentation en semaine et de 120 % le week-end. Ces résultats confirment que des politiques inclusives et ambitieuses peuvent revitaliser les centres-villes tout en renforçant les liens sociaux.
Sur le plan de la transition écologique enfin. La gratuité peut encourager un report modal des voitures vers les transports en commun, réduisant les émissions de CO₂ et la congestion routière. Cependant, comme le montrent les expériences de Tallinn et de Paris, pour maximiser cet effet, elle doit être accompagnée d’investissements dans l’infrastructure et la fréquence des lignes.
Dunkerque et Tallinn : des modèles inspirants pour la gratuité des transports
Les villes de Dunkerque et Tallinn illustrent deux approches distinctes mais complémentaires de la gratuité des transports publics, avec des résultats significatifs. À Dunkerque, la gratuité totale a été instaurée en 2018 sur l’ensemble du réseau de bus urbains. Cette mesure a entraîné une augmentation spectaculaire de la fréquentation. Ce succès s’explique par une stratégie globale incluant l’amélioration de la fréquence des lignes, la rénovation des infrastructures et une forte communication auprès des habitants. En plus de répondre aux besoins des classes populaires, cette politique a revitalisé le centre-ville et réduit l’usage de la voiture, avec des bénéfices mesurables sur l’environnement et l’attractivité urbaine.
De son côté, Tallinn, capitale de l’Estonie, est devenue en 2013 la première grande ville européenne à instaurer la gratuité pour tous ses résidents. Cette initiative, motivée par un objectif de justice sociale, a également visé à renforcer l’attractivité de la ville et à encourager le report modal. Cependant, les résultats de Tallinn sont plus nuancés : si la fréquentation des transports a augmenté, les effets sur la réduction de la circulation automobile restent limités. L’expérience montre que la gratuité doit être accompagnée de mesures complémentaires, telles que des investissements dans les infrastructures et des restrictions d’usage pour les voitures.
Ces exemples montrent qu’une politique de gratuité ambitieuse peut transformer les pratiques de mobilité, mais son succès dépend d’un effort coordonné entre accessibilité, qualité de service et planification stratégique. Pour Poitiers, s’inspirer de ces modèles pourrait ouvrir la voie à une transformation durable et inclusive des transports publics.
Propositions concrètes pour Vitalis
Si Grand Poitiers ne souhaite pas adopter la gratuité totale des transports, plusieurs alternatives peuvent être envisagées pour rendre la politique actuelle plus efficace et équitable.
1. Réformer les contrôles
Les contrôleurs pourraient être formés pour accompagner les usagers en situation de fraude vers des abonnements adaptés, comme le suggère une étude de Transdev en 2014. Par exemple, au lieu de verbaliser, ils pourraient proposer un abonnement à tarif réduit en échange du non-paiement de l’amende.
2. Campagnes de sensibilisation positives
Plutôt que des affiches intimidantes, une campagne incitant les usagers à valider leur titre par des messages positifs pourrait être plus efficace. Par exemple : « Comme 90 % des utilisateurs de Vitalis, voyagez avec un titre valide. »
3. Tarification volontaire
Un système de contribution volontaire pour les abonnements, pourrait garantir un accès équitable tout en assurant un financement durable. Ce mode de financement repose sur un choix politique fort qui postule l’honnêteté des usagers. Une grille de contribution proportionnelles aux revenus pourrait être proposée en indication, les usagers choisissant eux même le montant de leur abonnement en définitive.
Une politique de tarification des transports vise généralement à concilier trois objectifs, qui s’avèrent souvent difficiles à aligner : assurer la couverture des coûts de production du service (objectif n°1), encourager la fidélité des usagers dans une perspective de développement durable (objectif n°2) et garantir un accès universel au transport (objectif n°3). Or, il est constaté que les recettes tarifaires ne financent qu’une faible part des besoins des transports publics. Dès lors, pourquoi ne pas envisager la gratuité totale ? Cette mesure pourrait répondre efficacement aux objectifs 2 et 3, en renforçant à la fois l’accessibilité pour tous et l’attractivité des transports en commun.
Pour une politique réellement progressiste
Le choix de maintenir une politique de contrôle coûteuse et inefficace illustre une vision archaïque des transports publics. À Poitiers, comme ailleurs, une politique progressiste devrait s’appuyer sur des mesures favorisant la justice sociale et la durabilité. La gratuité des bus, combinée à des investissements dans l’infrastructure et la fréquence des lignes, est une solution non seulement possible mais nécessaire.
Grand Poitiers doit décider : persister dans une vision répressive et inefficace ou embrasser une véritable transformation sociale et écologique. Les transports publics ne sont pas qu’un service, ils sont un droit fondamental. Tant que les classes populaires seront exclues des décisions, des choix médiocres continueront à être imposés. Il est temps d’agir pour des transports gratuits et accessibles à tous.
Abel. R.